Le remplacement de Mario DRAGHI par Christine LAGARDE pour diriger la Banque Centrale européenne a été largement commenté.
Le satisfecit affiché par le gouvernement n’est pas dissimulé. Le pouvoir s’exerce autant et peut même davantage à Francfort qu’à Bruxelles. La nomination de la désormais ex-dirigeante du FMI à la tête de l’institution ne peut être qu’un atout pour la politique européenne de la France.
Mais s’il a été observé avec bienveillance dans notre pays, ce passage de témoin a également été l’objet d’une grande attention de la part des autres états de l’UE. Car le jeu politique n’est en définitive qu’anecdotique en comparaison des enjeux qui attendent la nouvelle présidente de la BCE.
Mario DRAGHI se retire, auréolé de l’immense mérite d’avoir sauvé la monnaie unique. Mais le maintien de son programme de rachat de dette publique lui vaut aussi d’être désormais ouvertement conspué par ceux-là mêmes qui soutenaient son action au début de son mandat.
La prise de fonction de Christine LAGARDE suscite donc de nombreuses interrogations. Saura-t-elle mettre fin à la stratégie non conventionnelle de « Quantitative easing » de son prédécesseur ou va-t-elle au contraire poursuivre son action ?
L’héritage de Mario DRAGHI
L’Europe monétaire s’est choisie pour raison d’être la stabilité. D’aucuns lui ont souvent promis que ce postulat ne lui serve un jour d’épitaphe. La poursuite des mesures de soutien à l’économie annoncées par Mario DRAGHI avant son départ les incite à réitérer cette prophétie pour d’autres motifs. L’homme n’avait pourtant pas tardé à séduire peu après sa nomination à la BCE en novembre 2011. Il prenait alors les rennes de l’institution dans un contexte où l’euroscepticisme était à son paroxysme.
Les crises grecques et italiennes menaçaient d’avoir raison de la monnaie unique. Attaquée par les marchés, celle-ci était l’objet de toutes les spéculations. Super Mario, comme allait bientôt le surnommer la presse transalpine, sut très vite user d’une rhétorique efficace à l’encontre de la communauté financière. Son parcours chez Goldman Sachs lui avait sans doute permis de s’en approprier les codes. Son fameux « whatever it takes » prononcé à l’été 2012 avait mis un terme aux attaques spéculatives de ceux qui pariaient sur un effondrement de l’euro. Par la suite, ses actes ne démentiront pas ses intentions. Européaniste convaincu, il n’a en effet jamais manqué de faire tout ce qu’il fallait pour maintenir à flot l’Europe monétaire.
Pour protéger l’euro et écarter les ferments d’une récession économique, Mario DRAGHI n’a pas hésité à mettre œuvre une politique monétaire non conventionnelle et jusqu’alors inusité en Europe. Les instruments de ce programme ont été à partir de 2011 et surtout après 2014 la distribution de prêts dits « Long term refinancing operations » (LTRO) aux banques commerciales, puis dès 2015 le recours au « quantitative easing » (QE ou assouplissement quantitatif). Quoiqu’inédite au sein de l’UE, cette stratégie avait déjà été adoptée depuis le début des années 2000, d’abord au Japon, puis par la FED et ensuite par la Banque centrale d’Angleterre.
Le QE consiste à procéder à des achats massifs de dettes privées et publiques. La distribution de LTRO, soit de prêts à taux zéro, a pour finalité d’inciter les banques à augmenter les volumes de crédits qu’elles octroient à l’économie. De la combinaison de ces outils de politique monétaire résulte donc une création ex nihilo de monnaie dans des proportions très importantes. La légitimité de ce programme monétariste relevait de la nécessité d’enrayer le risque déflationniste. L’objectif était même, et demeure, de viser un taux d’inflation à 2 %. Les axiomes de la théorie économique voudraient que ces afflux de liquidité profitent à l’investissement productif, stimulent la consommation et en définitive favorisent la création d’emploi. In fine, le saint Graal de ce processus serait le retour à un cycle de croissance vertueux.
Au regard de ces objectifs le bilan de la politique monétaire accommodante de Mario DRAGHI est très mitigé au point que certains osent parler d’échec. Le mythe entretenu autour du gouverneur de la BCE pourrait même se fissurer. Faut-il se souvenir qu’après avoir été l’objet pendant 20 ans de commentaires élogieux de la part de nombreux laudateurs, Alan GREENSPAN apparaissait en 2008 devant une commission d’enquête du congrès comme l’un des responsables de la crise des « subprimes » ?
Quand les enseignements rationnels de l’économétrie sont remis en cause par les comportements humains !
Le mandat de Mario DRAGHI se termine sans qu’il n’ait été en mesure de mettre un terme à sa politique de rachat massif de dettes. Et c’est bien le temps long de cette politique monétaire qui interpelle. Car le recours au « quantitave easing » ne se conçoit que comme une thérapie de choc dont les effets devraient être quasi immédiats. Or, prenant à contre-pied les règles élémentaires de l’économétrie, l’injection massive de liquidité dans l’économie européenne n’a pas eu pour effet de relancer l’investissement productif et encore moins de stimuler la consommation. En incapacité de créer les conditions d’un taux d’inflation à 2 % la BCE ne peut même pas se prévaloir d’être à l’origine de l’évitement de dérapages inflationnistes.
Depuis une décennie les salariés ont perdu leur pouvoir de négociation et les entreprises peinent à répercuter dans leurs prix la hausse de leur coûts de production. Le résultat finalement le plus visible des actions menées par la BCE sous l’ère DRAGHI est l’effondrement des rendements de l’épargne réglementée et de toutes les rentes de situation que pouvaient concéder des placements à taux fixe. Mais là encore, la théorie économique est battue en brèche par les comportements humains puisque le taux d’épargne continue de progresser alors que les rendements sont nuls.
Les conséquences de la politique monétaire menée par Mario DRAGHI sur le système bancaire
Qu’en est-il des masses de liquidités distribuées par les banques ? Celles-ci restent sous la contrainte d’un taux de dépôt négatif de – 0,50 % qui leur est imposé par la BCE. Autrement dit, les établissements bancaires se trouvent face à l’alternative de distribuer sous forme de crédit leurs liquidités ou à défaut de perdre de l’argent en les conservant. Pour compenser l’écrasement de leurs marges d’intermédiation, elles ont dans un premier temps revu à la hausse leurs commissions faisant ainsi payer à leurs clients le taux d’intérêt négatif dont étaient amputés leurs dépôts.
Cette politique de commissionnement semble toucher à sa fin d’autant que les commissions perçues relèvent d’une taxation et ne repose le plus souvent sur aucun service de contrepartie. Les banques continuent donc de distribuer de généreuses enveloppes de crédit. Le secteur immobilier et les particuliers en tirent profit. Certaines grandes entreprises à l’occasion d’opérations de consolidation sectorielles comme dans le domaine des télécoms n’ont également pas eu de difficultés à lever de la dette de surcroit remboursable in fine.
Quant aux PME et aux ETI, ou du moins les plus solides d’entre elles, elles bénéficient depuis quelques années de prêts d’équipements amortissables sur 3 ou 5 ans, accordés parfois sans garanties à des taux compris dans une fourchette de 0,20 % à 0,30 % si bien que certaines ne se privent pas de replacer cet argent sur des contrats à terme mieux rémunérés.
Les bilans des grands établissements bancaires se sont donc hypertrophiés. Les encours de crédit affichent parfois d’une année sur l’autre une progression de 20 à 30 % en parfaite adéquation avec la croissance des dépôts d’autant que l’adage « loans create deposits » se vérifie toujours. La charge de risque de ces encours dont l’envolée a été extrêmement rapide demeure l’inconnue qui permet à certaines Cassandres de prédire un effondrement du système.
Christine LAGARDE sera-t-elle la digne héritière de Mario DRAGHI ou fera-t-elle appel à un droit d’inventaire ?
Christine LAGARDE va-t-elle infléchir les orientations de politique monétaire jusque-là prônées par Mario DRAGHI ? Le peut-elle vraiment ? En a-t-elle le pouvoir ?
Il faut d’abord noter que la politique cède souvent à des instincts de grégarité. Mais que peut-on attendre réellement de l’action de Christine LAGARDE ? Une remontée des taux d’intérêt sans doute. Cela ne peut en aucun cas être son objectif premier.
Comme ses prédécesseurs sa mission principale à la tête de la BCE sera conformément aux dispositions statutaires de l’institution de veiller au maintien de la stabilité des prix dans la zone euro. Sous cet angle, le travail accompli par Mario DRAGHI est le rendu d’une copie parfaite de la bonne exécution de ce pour quoi il était mandaté. Mais la finalité d’une bonne politique monétaire reste évidemment de créer des conditions de liquidité favorables à l’ensemble de l’économie.
Cet objectif ne fut finalement peut-être que subséquent lors du long passage de Mario DRAGHI à la BCE. Patrick ARTHUS, chef économiste de NATIXIS, a même émis l’hypothèse que celui-ci en maintenant des taux directeurs proches de zéro et même en territoire négatif, n’avait eu de cesse que de préserver la solvabilité des états de l’union.
Qu’en serait-il en effet du paiement de la dette grecque, italienne, française et même allemande si les taux d’intérêt remontaient à 3 ou 4 % ? Ce scénario ne peut être envisageable que si le PIB de ces pays offre des perspectives d’évolution similaire à celle de la courbe des taux. Une telle croissance impliquerait une progression équivalente des ressources fiscales et au-delà une restauration de la capacité de remboursement des états.
Le problème ainsi posé, il est plus que probable que Christine LAGARDE poursuive la politique monétaire menée par celui qu’elle a remplacé.